Le rôle de l’architecte dans les interventions sur l’habitat précaire

Dans l’histoire de la ville, le bidonville est une forme urbaine très récente mais son essor est extrêmement préoccupant. Pour contrôler l’un des plus gros bouleversements de l’histoire du monde, une stratégie internationale, audacieuse et réaliste s’impose dès à présent. Objectif : construire en 20 ans autant que depuis le début des cités il y a dix millénaires. « Il est illusoire de préconiser un seul remède à la question du "logement pour le plus grand nombre"» , mais il est certain qu’il faut tout mettre en œuvre pour tenter de contrôler l’explosion urbaine des pays en voie de développement. Pour l’instant, les budgets internationaux pour le logement restent malheureusement ridicules par rapport aux budgets déployés pour l'armement…

Comment agir avec les moyens modestes mis à disposition ?
Quelles sont les stratégies mises en place ?
Comment l’architecte peut travailler dans ce contexte ?

 

1. Les grandes stratégies mises en place pour la résorption de l’habitat précaire

Les acteurs

Il y a plusieurs grandes catégories d’acteurs qui interviennent pour l’amélioration de l’habitat précaire et la création de logements bon marché :
- les gouvernements des pays concernés par la bidonvilisation
- les instances internationales (notamment l’ONU et la Banque mondiale)
- Les banques régionales de développement (interaméricaine, africaine, asiatique)
- les ONG "exogènes"
- les associations et ONG "endogènes"
- certains pays du Nord (via des aides et des projets ponctuels)
- des agences de coopération culturelles et techniques (favorisant la formation)

Les pays directement concernés sont la plupart du temps dépassés par le problème car leur politique ne donne pas la priorité au logement. De plus, les aides et les planifications qu'ils entreprennent pour remédier à l'habitat précaire sont rendues inefficaces par des gouvernements plus ou moins instables, la corruption, et le manque de compétence allouée aux divers projets. Pourtant la construction massive de logements pourrait leur servir de locomotive pour promouvoir une croissance économique forte.
Pour les pays riches, le manque d'abris dans les pays du Sud est tel que les perspectives du bâtiment et des travaux publics semblent infinies. L'habitat apparaît comme une dimension importante d'un transfert de technologie et d'exportation. Cet intérêt économique peut aboutir sur une coopération bilatérale assez efficace. Les pays scandinaves, les Pays-Bas et le Canada sont particulièrement actifs et financent de nombreux projets intéressants.

Malgré l'importance de l'Union internationale des architectes (fondée en 1948) ou la Fondation Architecturale Internationale (fondée en 1974) - qui a organisé le premier concours international pour l'autoconstruction assisté -, la place des architectes dans les institutions et les projets d'établissements humains restent secondaire.

Echec du recasement dans des logements sociaux

La construction de logements sociaux subventionnés par l'état a été une des premières réactions pour tenter de loger les masses de population immigrant en ville et pour recaser les bidonvillois. Cette solution a rarement été couronnée de succès et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord les immeubles construits reviennent trop chers. Même avec toutes les techniques d'industrialisation et de standardisation, le coût de la cellule de logement reste toujours prohibitif pour les classes défavorisées. C'est donc la classe intermédiaire qui en profite ainsi que la classe privilégiée qui utilise les logements sociaux comme un outil de spéculation. En outre, baisser le prix de revient de la cellule coûte que coûte n'est pas une solution non plus car cela engendre des logements de qualité médiocre qui s'avèrent parfois dangereux. On a vu les conséquences désastreuses d'une telle politique en Algérie : faire des économies en remplaçant du béton par du papier a été la cause de milliers de morts lors du dernier tremblement de terre à Alger !
De plus, ces nouveaux logements sont généralement situés loin du centre. « Les gens ne veulent pas bouger dans les camps de transit aménagés pour eux. Ce serait perdre leur boulot, leurs petites industries, leur petit business qui se trouvait dans la rue, toutes les possibilités de gagner de l’argent. Ces habitants refusent ainsi de s’installer dans les appartements car la rue est leur lieu de travail. C’est un cercle vicieux. » . Et nous l'avons vu, ces personnes ne veulent pas perdre les relations sociales qu'ils ont tissées dans le bidonville.
A cela s'ajoute une véritable méfiance des bidonvillois pour les actions gouvernementales. Ils montrent beaucoup de réticences à toutes propositions émanant d'un pouvoir qui les a trop longtemps méprisés et délaissés.
Enfin les logements sociaux ne correspondent pas aux modes de vie de ces destinataires. Par sa valeur symbolique et culturelle, la maison fonctionne comme signe d’identité du groupe. D’où la coexistence dans un endroit donné de types divers liés à des groupes ethniques différents. L’immigré logé dans un logement social ou un bidonville cherche à aménager son nouvel espace selon ses propres traditions afin de préserver une part de son identité dans le cadre étranger qui lui est imposé. « L’appropriation de l’espace dans les HLM se fait donc en conflit entre l’espace imposé et l’espace vécu. Ce décalage entre les données matérielles et l’environnement psychologique et symbolique nécessaire montre bien qu’il ne s’agit pas de la qualité médiocre des matériaux, ou d’appréciations esthétiques, mais il met en cause l’organisation de la famille et du groupe, favorisant la perte de leur identité et de leur personne même. » Il existe aussi une véritable insatisfaction vis-à-vis de la standardisation car elle ne fait pas partie de la culture des classes défavorisées. On ne comprend pas que le voisin puisse avoir exactement le même logement que le sien.
Enfin la construction industrielle, avec des machines et une main-d'œuvre réduite, accentue le chômage des artisans du bâtiment dont souffre déjà le pays.

L’architecture ne doit pas devenir l’allié d’un système rationaliste et économique qui impose un modèle inadéquat. Elle doit au contraire faire preuve d’humanité pour ses usagers en ne négligeant pas leurs origines, leur mode d'habiter et leur créativité.

L’auto-construction, certainement la seule planche de salut

Aujourd'hui, le recours à l'auto-construction paraît la seule solution viable pour résorber le problème des bidonvilles. Elle consiste à utiliser les habitants comme main-d'œuvre pour construire leur propre logement ou améliorer celui qu'ils utilisent. Il est vrai que l'habitat spontané est typiquement ce qu'on pourrait appeler de l'auto-construction mais cette dernière se doit d'être encadrée. Il ne s'agit pas de laisser les bidonvillois construire avec des bouts de tôle rouillée mais d'utiliser leur potentiel en tant que constructeur pour réduire les coûts de productions des cellules de logement. Il ne faut donner aux entreprises que ce que les habitants ne peuvent faire eux-mêmes. Cette idée n'est pas récente : au début des années 70, des utopistes, comme Ivan Illich, proposaient une politique différente, qui « s’attacherait d’abord à définir ce qu’il est impossible d’obtenir par soi-même quand on construit une maison. En conséquence, elle assurerait l’accès à un minimum d'espace, d’eau, d’éléments préfabriqués, d’outils conviviaux allant de la perceuse au monte charge, et probablement aussi l'accès à un minimum de crédit [...]. Les gens pourraient se construire des abris plus durables, plus confortables et plus salubres, en même temps qu’ils apprendraient l’emploi de nouveaux matériaux et de nouveaux systèmes »

Il existe deux formes d’auto-construction :
- la réhabilitation et la construction in situ
- l’auto-construction sur des trames d’accueil
Dans le premier cas, elle passe obligatoirement par la légalisation des habitants. C'est un type d'intervention intéressante car elle permet aux bidonvillois d'être reconnus, de conserver leur tissu social, de préserver l'authenticité du bidonville et de ne pas être trop éloignés de la ville. Par contre il est difficile de créer des réseaux, de placer des équipements et d'assainir le terrain.
La deuxième solution est de ce côté-là plus facile et moins coûteuse car on commence par réaliser la viabilisation de l'ensemble du terrain avant de lancer le projet d'auto-construction assistée. Le problème est de trouver des emplacements qui puissent s'intégrer au tissu urbain et qui ne soient pas rejetés trop loin des activités. Dans les deux cas, on arrive à un prix deux fois inférieur à celui qu'aurait coûté un logement social équivalent : l'auto-construction est donc financièrement très attractive.

D'autre part, l'auto-construction assistée permet d'occuper l'importante population désoeuvrée des bidonvilles et de la former au travail de construction. Elle a donc un rôle social extrêmement positif car elle valorise les personnes. Et même si c'est une main-d'œuvre peu qualifiée, elle est par contre très motivée. Les habitants peuvent s'approprier le projet et par conséquent avoir un niveau d'investissement important. De plus, pendant la phase de construction, qui peut être relativement longue, les habitants qui travaillent ensemble vont se souder et apprendre à s'organiser, surtout si les personnes qui encadrent le projet leur laissent une part de responsabilité relativement importante. Ils seront donc capables, à l'avenir, de se regrouper pour entamer de nouvelles réalisations.

Il faut cependant faire attention à ce que l'auto-construction ne tombe pas dans les mêmes travers que les logements sociaux ; c'est-à-dire la standardisation des maisons et une organisation spatiale inadaptée aux modes de vie. C'est pourquoi la présence de l'architecte est nécessaire pour que les projets soient les plus proches possibles de ses usagers.

Des réseaux ou des maisons ?

Globalement, les organisations internationales optent pour la mise en place de réseaux, d'équipements et d'infrastructures plutôt que la construction de maisons. Leur théorie repose sur les points suivants :
- il faut construire ce qui nécessite des moyens de mise en œuvre important inaccessible aux habitants.
- les réseaux ont un rôle catalytique vis-à-vis du développement.
- les infrastructures profitent au plus grand nombre (ce qui n'est pas forcément évident).
Ainsi on viabilise, on trame, on goudronne des rues, on creuse des égouts, on fait venir l'eau, l'électricité, etc. … Le problème est que tous ces équipements coûtent très cher et qu'il faut beaucoup de temps pour les construire. Ne seraient-ils pas secondaires ou "européocentriques", du moins dans la manière où ils sont mis en action. En effet, les bidonvillois préfèrent généralement améliorer et agrandir leur logement sommaire plutôt que de bénéficier d'un nouvel équipement. Ne faudrait-il pas tenter de leur offrir un habitat salubre qui leur permet un confort minimum avant de construire des trottoirs ? En tout cas les résidents sont unanimes, c'est d'abord leur espace privé qu'ils aimeraient que l'on privilégie.
De plus, certains projets sont totalement inappropriés, se basant sur des thèses théoriques et négligeant les réalités du terrain. Viabiliser des sites à l'extérieur des villes, où ne poussent que les mauvaises herbes pendant de longues années parce que personne ne vient y construire une maison, est totalement absurde. De même l'image de bidonville, dont les baraques s'effondrent sous la lumière des lampadaires flambant neuf, est à la fois ridicule et intolérable. Lorsqu'on place un équipement, il est important d'étudier sa pertinence par rapport à son contexte.

Il s'agit donc de déterminer, suivant les caractéristiques du lieu, l'état de l'habitat et la quantité d'équipements, s'il est plus urgent de construire des maisons ou une fontaine. Il y a un équilibre à trouver entre la qualité des logements et des infrastructures. Dans le bidonville, il est difficile de travailler sur le long terme et sur son extension car il faut déjà panser les plaies de l'existant.

Enseignements tirés de certaines interventions

Depuis les années 70, des interventions plus ou moins ponctuelles ont été menées dans la plupart des pays du Sud. Même si elles ont eu un bilan mitigé, leur étude permet néanmoins de déceler les actions efficaces et les erreurs à ne plus commettre. Des institutions de l'ONU ont notamment apportées de nombreux documents issus de l'étude des résultats de leurs actions . Ces derniers soulèvent certains points susceptibles d'intéresser l'architecte.
Tout d'abord, ils insistent sur l'efficacité de l'auto-construction. Sur une intervention en Colombie, elle a permis d'agrandir et/ou d'améliorer 75% des logements d'un bidonville, relogeant ainsi 52 000 familles en moins de 6 ans. Cette population fut à 86,7 % satisfaite. Mais le processus d'auto-construction ne peut être efficace que sous certaines conditions.
En premier lieu il est indispensable de travailler avec une population motivée et un minimum qualifiée. La formation a donc un double enjeu : apprendre aux participants à se tirer d’affaire sur les chantiers et mettre à l’épreuve leur persévérance pour éliminer les moins zélés. L'idée de commencer par la construction d'une maison pilote a fourni de bons résultats à ce niveau. A titre indicatif, les expériences de la banque mondiale montrent qu’il faut que 25 % des familles connaissent des bases de constructions pour une réussite dans des projets d’auto-construction.
De plus, on s'est aperçu que les participants avaient besoin d'un soutien psychologique car les projets peuvent durer plus de 8 mois. Maintenir la ténacité de tout le monde est donc essentiel. Par contre, l'assistance technique qui est nécessaire jusqu'au démarrage du chantier, devient relativement négligeable ensuite.
D'autre part, il est important de faire de la publicité autour du projet. Sans une sensibilisation et une explication approfondie de l'intervention, la participation va se retrouver très restreinte. Une bonne circulation de l'information est nécessaire ainsi qu'un climat de confiance. Un dialogue avec la population et ses "chefs" doit être entrepris dès le début de l'entreprise.
Dans certains pays comme l'Inde, le travail communautaire n'existe pas réellement, il est par conséquent impératif de le mettre en place. Cela apporte une meilleure ambiance pendant la phase de conception et de chantier mais cela permet surtout une continuité du projet. Si les habitants parviennent à s'organiser pendant la réalisation, ils pourront la poursuivre et améliorer leur environnement quand les organismes extérieurs partiront ; ce qui est finalement le plus important. L'installation d'une vie communautaire facilitera en outre l'entretien des équipements et espaces publics.
Enfin la conception des logements est déterminante. Afin que le projet soit accepté par les habitants, il doit correspondre à leurs repères. Par exemple, en Inde, les habitants n'ont pu se résoudre à utiliser les WC placés contre la cuisine pour des raisons de "noyau technique". Ou bien en Indonésie, la tradition veut que le mort soit déposé dans son cercueil à l'intérieur de sa maison. Le plan proposé pour ces populations ne permettait pas de sortir le cercueil par la porte, ce qui a posé de gros problèmes.


Voici certaines erreurs relevées à éviter :
- il ne faut pas que les maisons appartiennent à la commune car toutes les interventions futures deviennent très difficiles. L'habitant ne peut donc pas faire évoluer le projet convenablement.
- il ne faut pas construire partout car le quartier aura besoin de végétation et d'espaces libres pour respirer.
- si l'on ne pense pas tout de suite à la manière avec laquelle les réseaux vont circuler, leur mise en place devient ardue et bien trop chère.
- il ne faut pas utiliser des innovations techniques qui n'auraient pas été testées au préalable sur le terrain.
- il faut faire des parcelles suffisamment grandes pour permettre d'agrandir ultérieurement le logement et de faire un potager (surtout dans les zones suburbaines).

L'efficacité de la réhabilitation des bidonvilles

Des divers travaux effectués dans le monde, on constate que la réhabilitation a deux voies d'évolution possible :


En fait, la réhabilitation peut entraîner un départ : le résident trouve à travers la réhabilitation un processus de valorisation de son espace qui rend ce dernier commercialisable. Il le vend pour retourner dans un bidonville ou une zone moins aménagée. Pour que l'on atteigne au contraire une intégration sociale, il est indispensable que le résident s'approprie le nouvel espace constitué. Cela passe par la participation active des habitants et par un résultat qui convienne à leurs attentes. Il est donc préférable que chaque résident participe à la conception et au programme du projet ainsi qu'à la construction. L'efficacité de la réhabilitation ne dépend pas uniquement de la qualité des travaux mais de la manière avec laquelle ils sont présentés et mis en œuvre.

Voici un exemple de réhabilitation réussi au Brésil. Le projet consistait à construire une voie carrossable, mettre en place un réseau d'évacuation et améliorer la qualité des logements. Les habitants sont restés et grâce à l'auto-construction, de nouvelles maisons sont apparues.

 

Fig. 17 Réhabilitation au Brésil (avant et après travaux)

 

Intervention diversifiée

La Banque mondiale, un des principaux organismes qui fournit des subventions préconise une forme d'intervention diversifiée afin d'avoir un impact plus fort sur la ville. La banque mondiale associe généralement :
- un projet de trames assainies (sites et service)
- un projet de réhabilitation de bidonvilles
- un projet spécifiquement technique (eau, transport,…)
Ce système s'est révélé particulièrement efficace car il répond aux premières nécessités, c'est-à-dire la création de logements nouveaux par l'auto-construction, l'intégration du bidonville à la ville par la réhabilitation, et la mise en place de transports en commun pour permettre le lien avec le centre ville.
De plus, il est important que les interventions créent une dynamique. Un projet réussi doit permettre des retours et engendrer de nouvelles actions.

Schéma d'intervention de la Banque mondiale

La dynamique et l'intégration sociale ne se font pas qu'au travers d'une amélioration de l'habitat mais surtout par le travail. Il faut donner des emplois aux habitants sans oublier les femmes :
- en réservant des emplois sur les chantiers (utilisation du "trottoir du travail")
- en créant des bourses de matériaux pour stimuler la construction de maisons
- en développant des activités dans le champ éducatif, sanitaire ou social.

Les types d'interventions doivent être les plus nombreux et les plus larges possibles afin de pouvoir répondre à la grande diversité des bidonvilles.


2. Les interventions des architectes

Prise de conscience dans les années 50

La question du logement social a été largement traitée par les architectes du siècle dernier. On a beaucoup construit, des traités ont été écrits, bref le logement social a été un programme clé de l'architecture moderne. Par contre, l'étude et le travail sur des structures d'habitats précaires sont beaucoup plus rares. Néanmoins certains se sont penchés sur l'architecture des abris des bidonvilles et sur des modes de constructions bon marcher.

Notamment à l'occasion du IXème Congrès International de l'Architecture moderne (CIAM) qui s'est tenu à Aix-en-Provence en 1953, sur le thème de "l'Habitat pour le plus grand nombre". Des architectes comme Roland Simounet menèrent pour le groupe CIAM des l'analyses de bidonvilles. Puis pour le congrès suivant, la TEAM X travailla sur la participation et l’architecture vernaculaire. Il en découle la charte d'Athènes et une prise de conscience mondiale pour les architectes de travailler sur le problème du logement du plus grand nombre.
Les réponses qui furent apportées étaient issues des théories de l'architecture moderne et se concrétisèrent sous la forme de bâtiments rationnels et industriels comme la "machine à habiter" de Le Corbusier (Citée radieuse).

Architecture moderne et architecture vernaculaire

Dans les années 60, à l'époque d'une réaction mondiale contre l'excès rationaliste de cette architecture moderniste, une certaine légitimation de l'architecture vernaculaire fut entreprise par quelques critiques anti-modernistes. L'exposition en 1964 au Musée d'art Moderne de New York intitulée "architecture sans architectes" est une remise en question des fondements de l'architecture et de l'urbanisme savant.
Ce tournant est assez important car c'est la première fois qu'est réhabilitée l'architecture dite vernaculaire, anonyme, spontanée, indigène ou rurale. Le bidonville devient un lieu d'urbanité qu'il faut comprendre et mettre en valeur. Il est vrai que l'histoire récente de l'architecture et de l'aménagement a peut-être engendré la fausse impression que seul l'architecte et l'urbaniste sont capables d'aménager l'espace bâti ; pourtant pendant des millénaires l'homme a su s'en passer.

«L'inhabitabilité matérielle des bidonvilles est préférable à l'inhabitabilité morale de l'architecture utile et fonctionnelle. Dans ces quartiers misérables, qu'on appelle des bidonvilles, l'homme ne peut sombrer que physiquement, alors que l'architecture planifiée qu'on prétend faite pour lui, le fait sombrer moralement. C'est donc le principe du bidonville, c'est-à-dire du foisonnement architectural sauvage, qu'il faut améliorer et prendre comme base de départ et non pas l'architecture fonctionnelle»
Cette critique vigoureuse de l'architecture moderne pose la question suivante : est-ce que l'architecture urbaine doit être issue de l'œuvre individuelle de l'architecte comme le prône l'architecture orthodoxe, ou bien doit-elle être l'entreprise d'une communauté ?

Nous l'avons vu, le bidonville est un lieu de gestation urbaine. Son architecture non codifiée et la singularité de sa trame, loin d'être un défaut, devraient servir de base à l'architecte et à l'urbaniste. Leur rôle n'est pas de créer mais de comprendre et faire évoluer.

Les architectes aux pieds nus

De la critique de l'architecture moderne ressort la nécessité de créer un nouveau type d'architecte capable de travailler avec une communauté et les contraintes de l'habitat informel. Dans son allocution du 3 juin 1976 au forum non gouvernemental de la conférence de Vancouver, Hassan Fathy a esquissé le portrait robot de l’architecte aux pieds nus : « l’architecte est un missionnaire ; nous devons créer une classe d’architectes qui, avant de rechercher un profit, s’occuperont en priorité d’aider les familles à faible revenu à construire leur propre abri. »
C'est en 1978 que le congrès mondial des architectes entérina le nouveau profil professionnel des architectes aux pieds nus. Ils ne sont pas les spectateurs passifs de l’effort d’une communauté marginale pour améliorer son sort. Ils mettent leurs connaissances au service du bidonville en intervenant activement dans les activités et les décisions. Ainsi, la participation populaire des familles pauvres à leur habitat sort enfin de la clandestinité pour devenir une potentialité.
Hassan Fathy, d'origine égyptienne, est un des premiers architectes à avoir pris conscience que le peuple pouvait participer à l'élaboration de projet simple ou ambitieux. En réapprenant d'anciennes techniques de construction avec la terre, il prouve que 2 maçons et 4 aides peuvent construire une maison en 45 jours pour un coût extraordinairement bas. Avec cette base d'architecture traditionnelle il fera l'expérience de la construction d'une ville entière.
L’architecte aux pieds nus doit avoir à la fois des compétences d’ingénieur, d’architecte, de sociologue et de coordinateur d’équipe pluridisciplinaire. Il lui est aussi indispensable d'avoir le mode de vie des techniciens en prise directe sur le bidonville.

Exemples de réalisations architecturales

Projet Favella-Bairro : projet d'urbanisation de bidonville
Au Brésil, les favelas ont gagné leur combat pour être reconnues. Maintenant il s'agit d'améliorer leur situation urbaine. Le projet Favela-Bairro (favela quartier) du complexe de Mangueira vient d'être achevé par l'architecte Paulo Casé. Il consiste en une amélioration des infrastructures et des services publics comme l'approvisionnement en eau, l'écoulement sanitaire, le drainage des canaux, la collecte des ordures, etc…. L'étude du bilan de cette opération révèle plusieurs faiblesses de l'agence d'architecture : la méconnaissance et l'inexpérience sur le terrain des favelas a entraîné de nombreuses maladresses. On a aussi reconnu le tort des architectes de toujours vouloir construire quelque chose de nouveau quand dans ce projet l'idée principale était celle d'un simple réaménagement urbain. Cet exemple montre bien que l'on ne s'improvise pas architecte de bidonville. Un positionnement culturel doit être mis en place avant chaque intervention sur ces sites extrêmement délicats.

Les travaux de Soft architecture : vers une architecture mécano modulable
Les travaux de ce groupe d'architectes se sont portés vers une architecture industrielle, modulable, et surtout très bon marché. Ils rejettent la solution de la cellule de logement standard coulé en béton armé. Par contre il propose des systèmes de pièces constructives standardisées qui permettent de construire de manières très diverses. L'idée est de créer un sorte de mécano dont on peut acheter les divers éléments en magasins et dont le mode d'emploi est très simple. Le but n'est pas de donner des plans de logements mais uniquement les modes d'assemblage. Ainsi la construction de la maison devient un évènement créatif, presque ludique et qui peut se développer dans le temps aux grés de l'évolution familiale. Ce mode d'exécution permet aussi de se débarrasser des intermédiaires : les usines vendent directement aux consommateurs qui vont construire eux-mêmes leur maison.
Ce groupe a travaillé avec des matériaux aussi divers que le papier, les tubes métalliques, des bambous, du plâtre, etc.… Les expériences qu'ils ont menées sur le terrain en Afrique montrent qu'ils pouvaient construire dix fois moins cher que les logements sociaux financés par les gouvernements.
Ici le rôle de l'architecte est relativement technique : il s'agit de trouver des modèle constructifs dont la mise en œuvre est aussi aisée que peu coûteuse et qui soient suffisamment flexibles pour répondre aux particularités de chacun.

Fig. 18 notice de pliage Fig. 19 toiture faite à partir de carton traité et assemblé


Les travaux sur l’habitat catastrophe : des idées à poursuivre
Les travaux réalisés autour des logements pour les réfugiés ou les sinistrés d'une catastrophe naturelle peuvent être intéressants pour un usage dans le bidonville. Un exemple remarquable est le fruit du travail de l'architecte Shigeru Ban qui a eu l'idée de construire, à l'instar des bidonvillois, avec des matériaux de récupération. Il utilise comme matière première les rouleaux de carton autour duquel est enroulé le papier qui sort des usines. Les "fondations de la maison sont faites avec des caisses de bière en plastique qui détachent l'habitation du sol et le toit est recouvert d'une toile qui est parfois issue de la récupération des grandes toiles publicitaires. Si la région dispose d'autres moyens de recouvrement comme la feuille de palmier, c'est ce dernier qui sera utilisé. Les maisons de Shigeru Ban cumulent plusieurs avantages : elles sont très bon marché, très faciles et très rapides à monter et ne sont pas dépourvues d'une certaine élégance. Elles sont faites pour être des abris temporaires, elles ne disposent donc d'aucun équipement et d'aucune séparation interne. On ne peut donc pas transposer directement ce projet au bidonville mais ce projet reste une bonne source d'inspiration quant à l'intelligence de l'utilisation de matériaux de récupération et la qualité architecturale qui en résulte.

 

Fig. 20 Projet de Shigeru Ban pour "l'habitat catastrophe"

Exemple de l’architecte aux pieds nus au Pérou (années 90)
Les travaux des architectes qui travaillent sur le terrain en vivant dans les bidonvilles sont souvent très instructifs car ils sont très proche de la réalité. Un exemple intéressant a notamment été réalisé au Pérou. En s'introduisant dans le quotidien des bidonvillois péruviens, cet architecte s'est aperçu de deux choses. Premièrement, les habitants ont une culture forte de la communauté. Par exemple, chaque personne active donne une partie de son temps de travail à la cause commune du groupe. Deuxièmement, ils savent construire des murs en terre séchée. Ceci fut son point de départ et son rôle a donc été d'utiliser ce potentiel et d'apporter des solutions là où cela était nécessaire.
Un de ces objectifs fut de trouver un moyen de faire des toitures qui puissent remplacer les empilages de tôles rouillées et percées qui ne répondent pas du tout au confort souhaité. Pour cela, il fit construire une fabrique de tuile avec l'aide des habitants et avec la technique des murs en terres qui ne coûtent rien. C'est la fabrique, exploitée par les bidonvillois, qui fournit elle-même de quoi couvrir son propre toit. Les tuiles sont réalisées à l'aide d'un simple moule et sont séchées au soleil. Aujourd'hui ces tuiles sont vendues à un prix suffisamment modeste pour que leur coût soit inférieur à celui de la tôle. De plus elles sont plus résistantes et offrent une bien meilleure isolation. Ici l'architecte a su s’appuyer sur la main-d'œuvre et l'organisation sociale du bidonville et apporter des techniques adaptées au contexte et aux matériaux. Ici, il faut de véritables qualités de compréhension et de dialogue. Il ne s'agit pas de faire un transfert de technologie unilatérale mais de tirer parti d'un échange culturel.
Ce même architecte a aussi réalisé plusieurs ponts en pierre capables de résister aux nombreuses crues. Encore une fois, il a utilisé la main-d'œuvre des villageois et les pierres ont été extraites sur place.

Des techniques spécialisées prometteuses
De nombreuses sociétés et organisations ont établit des procédés de constructions innovants et peu coûteux qui peuvent être appliqués dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire. Parmi elles, on peut citer l'exemple français de CRATERRE (Centre International en Terre à Grenoble) qui travaille sur toutes les utilisations possibles de la terre pour la construction. Il a notamment réalisé un projet de logements intéressant à Marrakech. D'autres comme la NORAD (Agence de développement norvégienne) proposent d'améliorer des maisons traditionnelles en créant des revêtement à base de plâtre, de terre, de ciment. On a aussi inventé des bétons légers à base d'agrégats trouvés sur place, des liants, des panneaux agglomérés spéciaux (constitués par exemple de sciure de cocotier, de sable et de ciment sur un grillage métallique), etc. …
Si ces expériences sont globalement convaincantes sur un point de vue financier, elles pêchent souvent par une approche trop spécialisée et une négligence des aspects sociologiques. Elles restent néanmoins très utiles et pourraient permettre de constituer un sorte de manuel qui recensent les solutions constructives dédiées à l'autoconstruction.


3. Un rôle possible pour l’architecte d'aujourd'hui

Dans le contexte actuel, il semble que l'éradication des bidonvilles et la construction de logements sociaux n'est pas une solution. Aujourd'hui l'architecte doit se tourner vers une politique de réhabilitation et d'auto-construction et prouver qu'il est indispensable dans les processus de logements pour le plus grand nombre. Pour cela, il doit non seulement modifier totalement ses manières de penser la conception architecturale mais aussi s'adapter à de nouveaux interlocuteurs.


Quel peut être ce nouveau rôle ? Quelles sont ses responsabilités ? Quelles sont ses armes ?

Un enseignement à revoir

« Architectes, sociologues, ingénieurs sont issus des classes favorisées. Leur formation les a imprégnés des valeurs de la classe moyenne. Quand ils rentrent dans leur pays d’origine en Afrique, Amérique latine ou Asie du Sud, ils n’ont qu’un concept de la cellule logement : l’espace de la famille nucléaire avec salon, chambres, cuisine et sanitaires. L’habitation ne saurait être qu’en dur et son édification ne peut être confiée qu’à des spécialistes : de l’ouvrier du bâtiment au chef de chantier, du conducteur de travaux à l’architecte. Ces techniciens ont un diplôme d’université délivré dans un des pays industriels, capitaliste ou socialiste, et s’identifient inébranlablement pendant toute leur carrière au savoir qu’ils ont acquis durant leurs études. Ou bien les citadins des villes où ils exercent leur profession se plieront à la longueur et à la largeur du lit Procuste que représente leur projet d’architecture, ou ils croupiront dans leurs taudis et bidonvilles. Sur le plan de la coopération, ces attitudes de type classe moyenne furent longtemps surdéterminées par la prédominance aux postes clefs d’ingénieurs des ponts et chaussées et des travaux publics pour qui, hors du béton et de la spécialisation technicienne, il n’y a pas de salut. »
Cette situation décrite en 1980 par Bernard Granotier a guère évolué, du moins en ce qui concerne les architectes. Leur apprentissage passe toujours par l'éloge des œuvres individuelles des architectes et urbanistes sans qu'aucune sensibilisation ne soit faite sur l'habitat de plus d'un milliard de personnes ! Les notions de coût minimum, d'architecture vernaculaire, de techniques traditionnelles, de système d'auto-construction, sont éludées comme si l'architecte moderne était au dessus de tout ça. En 1977, lors d'un entretien au Caire, Hassan Fathy soulignait déjà ce problème : « Le fond du débat, c’est que les architectes ne sont pas familiarisés à l’usage des matériaux locaux. Cela n’est enseigné ni dans les universités techniques ni dans les écoles d’architecture, tant dans les pays riches que dans le tiers monde. »
Alors faut-il revoir la formation globale de l'architecture, ou bien est-il préférable de spécialiser des architectes que l'on aura sensibilisés au préalable ? Toujours est-il que l'on ne s'improvise pas "architecte des bidonvilles" sans un minimum de bagages techniques et culturels spécialisé et qu'une véritable formation doit être entreprise.


Un rôle pour la réhabilitation

Avant toute intervention sur le bidonville, il est nécessaire de faire un diagnostic qui va répondre à une première question, à savoir : est-il pertinent de réhabiliter la zone ? En effet, certains bidonvilles présentent des caractéristiques trop pénalisantes pour espérer lui donner un jour une qualité jugée suffisante : parcelles trop petites (30 m2 par exemple), circulations trop impraticables, zones trop dangereuses (risque d'éboulis par exemple), etc.… Le rôle de l'architecte n'est pas de faire un emplâtre sur une jambe de bois. Il doit donc être capable d'évaluer les potentialités urbaines et sociales d'un bidonville afin de déterminer les actions à entreprendre. Il est dangereux de tomber dans un romantisme exacerbé du bidonville, il faut au contraire faire preuve de pragmatisme.
La réhabilitation consiste à travailler sur une trame urbaine existante avec pour objectifs principaux :
- la mise en place d'équipements, de réseaux et d'infrastructures nécessaires
- l'amélioration du bâti
- l'intégration au tissu urbain
Il faut en quelque sorte "urbaniser" le bidonville mais sans homogénéiser l'espace, sans lui faire perdre son originalité. L'intégration ne peut se concrétiser par une uniformisation réductrice.
L'architecte doit être la personne capable d'effectuer ce travail nuancé, plus raisonnable que rationnel, en restant à l'écoute des habitants, des usagers ou des simples passants. Il s'agit d'une façon de faire de l'architecture sans le souci de construire, c'est là une conception de l'urbanisme de proximité.
Nous l'avons évoqué, la réhabilitation d'une zone d'habitat précaire doit se faire avec la participation active de ses résidents. L'idée est de responsabiliser le bidonville et de lui donner de l'espoir. Le rôle de l'architecte est de transformer le bidonville en embryon de ville ou de quartier de ville. En Amérique latine, on parle de "pueblos jovenes" qui signifie "jeunes villages". Il est illusoire de croire que l'on peut intervenir de manière continue dans tous les bidonvilles du monde, par contre il est certainement possible de créer l'étincelle de développement dans chacun et permettre à la nouvelle ville de vieillir (dans le bons sens du terme) avec ses habitants.
Entre parenthèses, on peut déterminer quatre conditions élémentaires qui permettent d'inscrire les bidonvillois dans un processus d'adaptation positive :
- la conservation des relacions qui existaient dans le contexte rural avant la migration
- l'existence de méthodes traditionnelles de formation des alliances qui permettent à l'individu, renforcé par des liens existants, de former de nouveau type de relation.
- le sentiment que l'on contrôle sa propre vie
- la flexibilité de la structure sociale, fondamentale pour s'adapter à un nouvel environnement urbain, social et matériel.
Afin que les bidonvillois acceptent, comprennent et puissent reproduire les interventions, ces dernières doivent être réalisées avec des moyens relativement modestes. L'architecte doit créer des évènements à petite échelle et s'engager humainement. Il ne travaille pas sur la ville entière comme l'urbaniste mais sur des échantillons de villes. Certains l'appellent "l'architecte urbain".
Enfin, les nouvelles situations urbaines telles que les abords d'autoroutes, les parkings, les terrains vagues, des forts dénivelés, réclament une nouvelle posture de la part des professionnels de l'espace urbain et de nouvelles solutions architecturales.

Un rôle pour l'auto-construction - un rapport total avec l'usager -

En caricaturant, on peut dire que la forme de rapport entre usager et architecte est la plus pauvre lorsque l'usager se contente d'être un client, et la forme la plus complète est quand ce dernier construit lui-même l'édifice. L'auto-construction pourrait donc apporter des projets riches. Mais cela suppose plusieurs choses : d'une part, le contact direct et continu de l'architecte avec les habitants-constructeurs ; et d'autre part, une manière de concevoir l'architecture radicalement différente de celle que l'on utilise pour l'architecture conventionnelle car les repères du bidonville n'ont rien à voir avec nos repères habituels.

Il existe plusieurs moyens de penser l'auto-construction assistée.
Le premier est d'urbaniser une zone vierge en travaillant à l'échelle de la ville et à l'échelle de la cellule d'habitat. Il s'agit de réaliser des plans masses, de faire les plans de maisons-types et de superviser leur construction en utilisant comme main-d'œuvre les habitants. On demande à ces derniers de payer les matériaux mais la plupart du temps, on leur procurent des prêts ou des aides. Ce type d'auto-construction se fait souvent dans le cadre de projets à grande échelle qui regroupent des acteurs sociaux, administratifs et techniques. Le rôle de l'architecte y est multiple. Il doit tout d'abord dessiner un plan masse. C'est certainement le travail le plus délicat car il ne doit pas devenir un lotisseur. L'urbanisme doit précéder l'urbanisation, ce qui nécessite une réelle compréhension des traditions et usages urbains des futurs habitants. Ensuite, il doit déterminer les matériaux et les moyens de mises en œuvre les plus appropriés et les moins chers suivant une multitude de paramètres : le climat, la topographie, le sol, les matières premières… Il doit donc connaître les dernières innovations techniques ainsi que les techniques traditionnelles car suivant les cas, les unes ou les autres seront plus rentables (voir le mariage des deux). Son deuxième rôle est de dialoguer avec les futurs usagers afin de concevoir des logements qui vont correspondre à leur culture et leur mode de vie et surtout permettre à chacun de personnaliser son habitat. L'architecte Georges Candilis (1913-95) (disciple de Le Corbusier) qui a travaillé sur les bidonvilles disait : « Le rationalisme et l’organisation du plan, d’abord exprimés sous forme de modèles abstraits, sont ensuite confrontés aux climats, aux lieux, aux modes de vie. Le logement devient ainsi habitat car il entretient une relation forte avec son milieu ».
Enfin, l'architecte va devoir intégrer dans son projet des paramètres spécifiques : le manque de qualification des constructeurs, l'illettrisme de ses partenaires, les rapports sociaux propres à la communauté, la valeur sémantique des éléments de la maison, la modularité…
Dans modularité, on comprendra l'idée que le logement doit pouvoir évoluer dans le temps. Il faut qu'on puisse rajouter une pièce, un élément sanitaire, bref, l'architecte doit avoir conscience qu'il ne conçoit pas un produit fini, comme on le fait généralement dans nos sociétés modernes mais un produit vivant et adaptable.

Le deuxième moyen de penser l'auto-construction est par la mise en place de techniques, de savoir-faire et de matériaux propres à être utilisés par les habitants eux-mêmes. C'est plus ou moins le travail qu'a effectué l'agence Soft Architecture. Ici c'est principalement l'ingéniosité de l'architecte qui est importante ainsi que sa capacité à modeler des espaces. Les enjeux architecturaux sont les suivants : permettre la constitution d'espaces foisonnants et complexes à partir de matériaux simples et bon marché, permettre de répondre à la diversité des attentes des habitants, et permettre leur créativité. L'architecte doit en permanence innover et expérimenter de nouvelles méthodes capables de s'adapter à un terrain précis. L'architecte Emmerich David Georges propose de cesser de concevoir l'architecture comme de gros éléments durs pour s'orienter vers une architecture plus flexible et adaptable : «…au lieu de continuer à se pâmer devant les paquebots, forteresses volantes et autres engins périmés, l'architecte ferait mieux de s'inspirer des cristaux, des bulles de savon, voir des techniques d'emballage, fussent-elles moins héroïques».

Effacement et adaptabilité, les qualités de l'architecte des bidonvilles

Que ce soit pour la réhabilitation ou l'auto-construction l'architecte va avoir un rôle très large. Il va constituer le lien fondamental entre une politique théorique et une réalité du terrain très difficile. Si dans les pays du Nord, l'architecture est désormais construite par les architectes pour le peuple, par contre, dans le contexte de la résorption de l'habitat précaire, l'architecture doit être construite par le peuple avec l'architecte. Ce dernier a un rôle de guide qui travaille en étroite corrélation avec les usagers. Une de ses grandes qualités sera sa capacité à s'effacer et à écouter. Son travail acquiert par conséquent une dimension sociale importante. Les acteurs auxquels est confronté l'architecte des bidonvilles n'a rien à voir avec les acteurs conventionnels : main-d’œuvre non qualifiée ou presque, acteurs sociaux, administration locale, organismes internationaux, ONG, etc.

Ensuite il n'y a pas de modèles opératoires généraux, c'est du coup par coup.
« A la place de l’uniformité technocratique, il importe d’envisager des solutions pluralistes nuancées, tenant compte des particularismes des traditions, des usages, des coutumes, de la diversité historique. Ce sont ces contraintes que l’architecture doit refléter afin de respecter la personnalité de chaque type d’habitant, l’originalité de son décor, son mode propre de relations sociales. »
L'architecte ainsi que son architecture doit faire preuve d'une grande adaptabilité et d'une grande modularité car aucun bidonville et aucune culture ne sont tout à fait identiques.

Emmerich David Georges résume à trois les rôles pour l'architecte :
- concevoir des jeux de construction pour adultes
- conseiller, tel le médecin, le vrai client, directement et sur mesure
- prévoir les infrastructures collectives et leur modification.
Il faut retenir de cela l'importance qu'il faut donner à un diagnostique précis de chaque situation. Ce dernier va permettre d'aboutir à une réponse adéquate. C'est faire de fausses économies que penser que la rentabilité passe par l'industrialisation standardisée du logement. Enfin l'architecte, même dans le bidonville, ne doit jamais oublier que construire est un art, que l'esthétique a un rôle social.
Vers un projet de maison de l'habitat

De cette étude, la proposition suivante de projet pourrait être intéressante. L'idée serait de créer une sorte de "maison de l'habitat" qui pourrait héberger des associations du bidonville et un centre d'information sur l'habitat auto-construit. L'intérêt serait de construire l'édifice uniquement avec les bidonvillois intéressés, et de préférence désoeuvrés, avec un système constructif qui puisse être réutilisable par les habitants pour améliorer ou faire leur propre logement.
Réaliser ce centre communautaire avec la participation du bidonville pourrait avoir de nombreuses conséquences bénéfiques :
- créer un établissement urbain fondateur : équipement urbain symbolique qui valorise l’image du quartier.
- créer des liens sociaux permettant une cohésion sociale à long terme et peut-être la création de nouvelles associations qui dynamiseraient la vie du bidonville.
- former la main-d'œuvre pour la construction ultérieure de logements.
- faire travailler des personnes, ce qui mène à une appropriation du projet par ses usagers et donc l'ancrage du projet à la terre du bidonville.
- montrer la possibilité d'agir : créer une vision positive du futur.
- utiliser ce bâtiment comme un modèle de technique de construction.

Le but de ce projet serait en fait de créer une étincelle, en montrant ce qu'il est possible de faire et en aidant les initiatives des bidonvillois. Le bénéfice que l'on en tirerait est peut-être utopique mais c'est une manière de faire confiance aux habitants des bidonvilles, de jouer avec l'une de leurs principales qualités : l'espoir. Bien évidemment, la réussite se base aussi sur des réponses techniques et une architecture pertinente qui vont être exploitables par tous, même les plus pauvres.
Il est important de comprendre que la maison dans le bidonville n'est pas un produit mais un processus, et que le rôle des architectes est au moins de l'initier. En apportant peu de choses finalement, on peut certainement engendrer des retombées très rentables en terme de logement. Et de toute évidence, s'il existe quelque chose que tout le monde peut comprendre, c'est bien la rentabilité !

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